Déplacement du ministre de l’Agriculture OROS du 17 juin.

 « L’extraordinaire voyage de Gulliver chez les lilliputiens (cornichons) sous serre ».

C’est à 6h45 que le départ du ministère avait été annoncé.  5 Journalistes, free-lance, de journaux et radios officielles s’élançaient à l’heure pour Valcea. Arrivés une heure à l‘avance, sur 3 grandes tables rondes, il nous fut servi sur le gazon vert devant l’entreprise de conserves de fruits et légumes un petit déjeuner composés de fruits frais, café et eaux et viennoiseries quelconques.

Quelques minutes plus tard, les premiers officiels de la visite arrivaient : Secrétaire d’état, sénateur et président de la commission pour l’agriculture et autres directeurs de départements du ministère, une poignée de fringantes trentenaires émérites.

« Des réflexes d’ancien régime », dans la petite salle de protocole lorsque le directeur administratif de la société cite les autorités avec leur titre respectif attablées, qui se lèvent tour à tour, à l’appel de leur nom, pour saluer l’auditoire. Auditoire qui n’est autre que la majorité des journalistes, restés debout et qui ont pour habitude de suivre les déplacements des autorités du secteur ; Radio Romania, Profitul Agricol, Agro TV…Etc.

Ce n’est pas le seul côté charmant et désuet que j’avais déjà connu dans ce style de déplacements officiels en 1997 avec ma première carte de presse du MAE roumain.

J’y reviendrai!

Prévue en fin de programme, nous voilà à visiter une ferme d’élevage de variétés d’Esturgeons du Danube.

De grands lacs artificiels entoure le chemin cabossé qui nous mène à la ferme. Ici, le propriétaire nous explique qu’il a investi 7 millions d’Euros un bon argent qui s’est gagné dans l’immobilier nous met en garde : On filme les bassins sous le hangar, mais pas la technologie allemande. Bon ! J’ai vu des bassins, à part des tuyaux dans tous les sens, je n’ai pas trop vu ce fameux process allemand. Si l’on parle des compteurs en tête de bassin, ils sont de la marque Hach. Quand aux ingrédients donnés aux poissons, il semblerait que ce soient des farines d’engraissement classiques suivant les ingrédients observés sur les sacs entreposés.

Il y a surtout du poisson à la vente et du caviar que l’on prépare à la demande au prix de 500 Euros le Kg.

Direction le Lycée technologique de Dragasani. Le ministre pas encore arrivé lors des premières visites, est déjà sur place, il a revêtu une blouse roumaine.

Donc devant le directeur qui souhaite la bienvenue au ministre avec la déférence d’usage, nous embarquons tous pour une grande salle amphithéâtre. A gauche, sur des tables de présentations, où entre produits traditionnels et informations sur le lycée, quelques entreprises en ont profité pour laisser du matériel publicitaire. Cela aurait été un fournisseur local de la cantine qui cherche à se faire un peu de notoriété sur la plan national, j’aurais compris, mais une marque de vins qui n’est certainement pas servi à la cantine, un peu moins ! Enfin en Roumanie, après tout ce temps, entre confusion des genres et conflits d’intérêts, ne cherchons plus une cohérence entre discours officiel et méthode.

Après un texte récité avec enthousiasme par un élève, on présente la plateau de viennoiseries au ministre pour qu’il goûte. Le speech du directeur de l’école qui ne peut dissimuler sa fierté, ni en faits, ni en mots de recevoir autant d’officiels à la fois. Normal, ça se passe aussi comme ça dans les démocraties comme en France et dans les pays autoritaires, en transition ou non. Là, quand même le côté obséquiosité des visites du conducator observées dans les vidéos qui circulent sur internet, a de beaux restes. Il faut bien que jeunesse se passe ! Mais bon, cela fait 30 ans déjà, on est une démocratie mûre en principe à cet âge.

Ensuite, les officiels s’installent devant le parterre d’une trentaine d’enseignants présents. Le ministre fait l’égoge d’une agriculture roumaine qui est pleine transformation et qui autant que peut se faire se réforme avec l’aide de l’Europe, avec les lenteurs connues du pays. Pas le temps pour des questions, à part un journaliste ayant pu poser une question technique sur les aides européennes dont je suppose que ce n’était pas trop dans les priorités de l’assistance. Alors pressé par le temps, on repart au pas de course. Pas de questions au directeur, pas de rencontres avec les élèves et les professeurs pour réellement connaitre, leurs projets, leurs contraintes, leurs attentes. Avec des classes de formation à l’alimentation en agriculture et en tourisme et la crise personnel dans l’Horeca ? Nous passons à côté de l’essentiel. Dommage. Note humaniste, le ministre, considéré comme géant de par sa fonction, avant de partir se donne la peine de serrer la main des professeurs, mettre à l’honneur des lilliputiens, ce n’est jamais anodin.

Ayant eu le temps de questionner le directeur en aparté, sachant qu’il n’y avait qu’une classe de 24 élèves pour le tourisme et l’alimentation, il me confirma avoir la possibilité d’en ouvrir plus, après je crois que c’est une question de quota qui vient d’en haut. C’est ainsi que le lycée de Calimanesti que j’avais visité en 98 et qui était considéré comme l’un des meilleurs lycées en hôtellerie de Roumanie, affiche aujourd’hui deux classes de 12 élèves pour la formation de serveurs et 12 pour la formation de cuisiniers.

Lors de la réunion, le ministre sur l’estrade parle de la nécessité de formations duales pour faire face au manque de personnels dans l’Horeca. On se doute qui sont les managers de l’Horeca qui ont fait circuler cette requête qui est en fait un moyen de fournir à moindre coût une main d’œuvre malléable et peu former pour faire carrière. Une vision de court terme à mon sens dans des métiers où l’excellence fait la différence. On comprend mieux pourquoi l’Horeca s’inspire du Kurzarbeit pour privilégier ses intérêts !

Alors même qu’il existe un partenariat stratégique avec la France, grand pays agricole s’il en est où des artisans d’exceptions gèrent leur développement grâce à une grande gastronomie reconnue et aux ventes directes, la francophonie historique du pays, la prédominance de la cuisine française durant la période interbellique, et le repas gastronomique des Français reconnu par l’Unesco pour sa qualité synonyme, d’art de vivre et d’élégance !? Vu la période et un tourisme externe qui ne reviendra peut-être pas avant 2024/2025, pour tous les chefs français invités depuis 2014, il manque en priorité des formations solides, denses, complètes durant 2 ou 3 ans en théorie et en pratique dispensés par de vrais cuisiniers et des professionnels confirmés de la restauration dans les lycées, couronnées par des certificat d’aptitude professionnelles et bac pro de bon niveau.

Un lycée hôtelier en France coûte à la construction entre 80 et 100 millions pour une capacité d’environ 1000 élèves. Ne serait-t-il pas temps d’investir dans le durable et dans l’avenir du potentiel touristique roumain pour le transférer dans des mains de professionnels. Au début de ma présence en Roumanie, en 1997, les nouveaux députés et sénateurs roulaient presque tous en voiture allemandes de luxe, dans le même temps le directeur de l’école Viilor m’affirmait n’avoir que 200 dollars de budget mensuel pour acheter la matière première pour les quelques centaines d’élèves en formation.

Il y a aujourd’hui des choix de longs termes hiérarchisés, ambitieux à élaborer et une politique courageuse.

Soit on continue de laisser le potentiel touristique roumain à des businessman peu éthiques jusqu’alors qui affichent des pseudo-diplômes de brillantes universités américaines pour asseoir leur crédibilité, soit on forme à la base avec de réels apprentissages en passant par l’investissement de formation de formateurs.

C’est être bien innocent ou passablement malhonnête de penser que la culture du goût des consommateurs et la promotion des métiers de bouche peut être assurer par des shows télévisés.

La transmission de valeurs, le respect du client et du produit cela s’apprend à l’école et avec du temps.

Lors de semaines pédagogiques du goût dans les écoles qu’elles soient régionales ou nationales, des chefs français étoilés donnent des heures et des heures à se déplacer dans les lycées. En Roumanie, un top chef vedette qui n’a rien prouvé économiquement par son seul talent, te demande d’abord combien il sera payé ?

C’est là que l’on mesure le changement de mentalité primordial qui doit s’opérer, même auprès des trentenaires nés après 89, l’ADN communiste perverti en affairiste tout crin diffuse encore.

Alors, oui, j’aurai aimé qu’avec le ministre nous déjeunions à la cantine entourés de professeurs, servis par des élèves un menu de purée/Snitzel avec en entrée une petite salade composée et réalisé par des élèves afin de valoriser la formation pratique de la cantine qui sert de restaurant d’application, selon les dires du directeur. Il serait bon de sortir du déclaratif lors de grandes conférences prétentieuses et de s’attacher à promouvoir les métiers de bouche lorsque l’occasion se présente.

Quitte à faire venir un chef de France une journée à l’avance pour orchestrer l’organisation et donner quelques petits trucs de pro. Vous imaginez pour un élève, futur cuisinier, symboliquement l’image que cela représente une telle expérience ? Dans le cadre de ses études, servir une délégation avec ministre, quelle enseignement, quelle fierté quelle belle promotion des métiers de l’alimentation auprès des professionnels comme du grand public et quelle valorisation pour les professeurs qui bénéficient eux-aussi de la venue d’un professionnel. C’est du « gagnant gagnant » en continu et au long terme.

A la place, nous nous sommes attablés à la terrasse d’un restaurant hôtel 3 étoiles. Le service pompeux pour un traditionnel repas à touristes ; Entrées composées fromages, charcuteries, classiques sarmalés, (bien que de poissons), une viande servie en retard dû à la lenteur du service et pas le temps ni pour un dessert, ni pour un café. La seule petite originalité venait de l’amuse-bouche au caviar blanc que le propriétaire de la firme d’esturgeon voulait promouvoir. Celui-ci est vendu en Roumanie à 1500 E/ Kg mais il faut savoir que ces œufs blancs valent de l’or, plus raffiné, le record de vente est attribué au caviar Almas (caviar albinos autrefois réservé aux Tsars et au Shah d’Iran), extrêmement rare et vendu autour de 37 000 € le kilo. Il m’a paru que le caviar n’avait pas été préparé dans les règles de l’art, utilisation d’inox, trop d’attente ou de manipulations… La rondelle d’olive posée dessus était de mauvais goût et montrait le manque de connaissance du produit. Le caviar se suffit à lui-même, les associations acceptées sont rares.

Ce que j’aurais aimé vivre avec le ministère dans cette expérience, et cela aurait été utile pour l’école, c’était l’implication des deux classes du lycée dans la préparation et le service du caviar avec ce chef prestigieux invité de France, et donc on revient au concept exprimé plus haut, transmettant des valeurs de transmission, des connaissances et une motivation, ce qui est important dès le plus jeune âge. Ce serait un exemple de bonnes pratiques étrangères au commun des mortels entre politique d’entreprise et éducation ~ formation professionnelle.

Alors, entre serres, lignes d’embouteillage, entrepôts et immenses congélateurs en grande partie financés par l’Europe, il nous faut bien parler du groupe Annabella qui nous a accueilli. Non pour la surprise du paquet cadeau découvert au retour dans le coffre du minibus immobilisé à près de 23h00 dans la cour du ministère, mais parce que la confiture aux fraises que j’affectionne est de la marque Raureni et qu’elle possède le taux de fruits le plus élevé de ce que l’on trouve en grande surface. Durant cette visite, les ingénieurs ont pu répondre à toutes nos questions, le directeur général déplorait le manque de collaboration avec les petites producteurs locaux.

En conclusion ce fut une belle journée, intense et riche. A notre dernière halte autour d’une petite collation le long des serres, un débriefing s’est improvisé en mode décontracté. Le propriétaire se plaignant des petits producteurs qui ne voulaient pas jouer le jeu pour l’approvisionner et qui n’étaient pas fiscalisés. Les uns demandant plus de législation, les autres plus de contrôles. Le ministre concluant que légiférer pour légiférer ne servait à rien si les gens ne s’y soumettaient pas. Et de comparer des systèmes où l’organisation structurante existe depuis bien longtemps et que Bruxelles a été négocié à la main de ceux qui l’avaient créé pas pour les nouveaux entrants en décalage de développement.

Si en France, il est bien entendu que l’alimentation a un rôle central à jouer dans l’amélioration de la qualité, le développement des productions locales, depuis toujours ; Cela démarre par le produit que le cuisinier a sourcé pour le valoriser dans sa cuisine et le proposer à ses clients et ainsi lui apporter le bouche à oreille qu’il mérite loin du marketing coûteux de l’industrie. D’où le soutien indéfectible depuis 30 ans du Ministère de l’agriculture dans l’hexagone. Pour un grand chef, tout part du produit, pas de bonne gastronomie, qu’elle soit traditionnelle, bourgeoise ou haut de gamme couronné au guide Michelin.

Nous en revenons toujours aux mêmes principes, a fortiori, aujourd’hui après la crise où les gens ont compris l’intérêt du mieux manger durable, local et des circuits courts.

Pour avancer dans ce sens, il ne s’agit pas de faire de grandes promotions télévisuelles en dépensant des fortunes dans des boites de com au slogan aguicheur.

Il s’agit d’expliquer encore, encore et toujours auprès des nouvelles générations. Savoir lire une étiquette, apprendre à ne pas se laisser piéger par des mots de communicants, de copywriters reconnaître les vrais signes de qualité et labels européens, savoir lire les sous-titres dans un menu. En somme apprendre très tôt aux enfants à être responsables quand à leurs choix alimentaires pour avoir accès au goûts vrais. Protéger leur santé, comprendre l’importance et les enjeux cachés du trop gras, trop sucré, trop salé. Nos choix alimentaires impactent la majorité des Objectifs de Développement Durable définis par l’ONU pour 2030. Pour les atteindre, il faut de l’éducation aux fondamentaux et valeurs du goût. Après tout, apprendre ce que signifie une charte AOP, c’est apprendre à respecter le consommateur et toute une chaîne de valeurs. Ainsi lorsque nous trichons contre l’état, nous trompons nos enfants, détournons le futur et l’image de la Roumanie.

Patrick-Pierre Pettenuzzo. Journaliste culinaire et fondateur de la Fête du Goût/Sarbatoarea Gustului 2020/2030.

 

 

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